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Après la grande claque assénée, au début des années soixante, par la Nouvelle Vague au cinéma classique, ce dernier n’a eu de cesse de tenter de se renouveler par la suite. Dans les années soixante-dix, un nouveau courant semble naître, porté par deux acteurs incandescents : Gérard Depardieu et Patrick Dewaere.

C’est ainsi que, dans Adieu poulet que Rimini sort pour la première fois en 4K, dans un combo 4k Ultra HD + Blu-ray et DVD, Pierre Granier-Deferre place Dewaere face à Lino Ventura, tenant d’un cinéma qui ne dérape jamais. Il prend certes un risque, mais un risque bien calculé. Les deux acteurs sont sacrément bons, chacun porteur d’un style très différent, et il suffit juste que l’étincelle se produise à l’écran et que du respect s’installe entre les deux. Francis Véber et Luc Arida racontent, dans les bonus, que les premiers retards sur le plateau de Dewaere eurent le don d’exaspérer Ventura. Et que, le comprenant, le jeune acteur s’est mis au diapason de son aîné et que tout alla pour le mieux par la suite.

En cette année 1975, Adieu poulet suit une voie somme toute peu exploitée, celle du cinéma politique grand public. Les principaux représentants en sont, à cette époque, Yves Boisset et Jean-Pierre Mocky. D’autres, tels René Vautier et Bernard Paul, restent malheureusement plus confidentiels. À travers l’enquête menée à Rouen par deux flics sur le meurtre d’un colleur d’affiches en période électorale et celui d’un de leurs collègues qui tentait d’intervenir, le film brosse le portrait d’une France gangrénée par la politique, dans lequel l’image de l’homme politique local, ce dernier incarné bien sûr par un Victor Lanoux sûr de lui, n’est jamais tout à fait claire. Son slogan est d’ailleurs « Au-dessus des partis », jeu de mot quelque peu graveleux. Ainsi, en bon adepte du clientélisme, va-t-il visiter les Ehpads juste avant l’élection en recommandant aux vieillards de voter (pour lui, évidemment) le dimanche suivant.

Comme souvent dans ces histoires policières où la hiérarchie ne veut surtout pas faire de vagues, le supérieur de Ventura et Dewaere (incarné par Julien Guiomar) tente de maintenir leur enquête dans des rails bien droits. « Les voyous, c’est une chose, explique-t-il, les politiques c’est autre chose ! » Ce à quoi Ventura répond : « Vous m’expliquerez la différence, monsieur le commissaire ! » On est en droit de penser au Dirty Harry d’Eastwood, dont les deux premiers épisodes sont sortis respectivement en 1971 et 1973 et qui, lui aussi, est freiné par ses chefs, sauf que Lino Ventura est loin d’utiliser aussi souvent son flingue et qu’il est ici plutôt marri, c’est-à-dire triste et fâché.

On pourrait alors croire que c’est Dewaere le rebelle qui va pousser son chef (Ventura) hors des sentiers battus. Lui qui clame à qui veut l’entendre : « L’honneur, le devoir, ça fait des siècles qu’on se fait entuber par ces trucs-là ! » Sauf que le récit va prendre un autre chemin, inattendu.

Dans cette enquête où l’humour s’invite souvent — n’oublions pas que le scénario est de Francis Véber —, se pose également la question de l’ingratitude du boulot de flic. Nous ne sommes plus chez Maigret et la satisfaction du devoir accompli. Ici, les chefs — et donc l’État — ont l’air de vouloir protéger à tout prix les politiciens qui détiennent le pouvoir, quelles qu’en soient les conséquences. Cette lassitude affichée par Ventura et Dewaere est l’une des clefs d’Adieu poulet qui montre que la société ne peut plus continuer ainsi et qu’un flic honnête a le droit de laisser se débrouiller seuls politiciens véreux et hiérarchie aux ordres.

Preuve qu’en ces temps-là, le but du polar n’est plus de résoudre une enquête mais bien de donner un point de vue sur son époque.

Jean-Charles Lemeunier

Adieu poulet
Année : 1975
Origine : France
Réal. : Pierre Granier-Deferre
Scén. : Francis Véber d’après Raf Vallet
Photo : Jean Collomb
Musique : Philippe Sarde
Montage : Jean Ravel
Durée : 87 min
Avec Lino Ventura, Patrick Dewaere, Victor Lanoux, Julien Guiomar, Pierre Tornade, Françoise Brion, Claude Rich, Claude Brosset, Michel Peyrelon…

Sortie par Rimini en Blu-ray et 4K Ultra HD le 5 juin 2024.

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