Lorsqu’en 1985, Claude Chabrol présente au festival de Cannes Poulet au vinaigre qui sera suivi, l’année suivante, par Inspecteur Lavardin, le cinéaste semble renouer avec ses débuts, un genre et des acteurs qui lui ont assuré la consécration. Il y est question d’enquête policière et de grande bourgeoisie et l’on retrouve avec beaucoup de plaisir, dans l’un ou l’autre, quatre des grands interprètes chabroliens des années soixante/soixante-dix : Stéphane Audran, Michel Bouquet, Bernadette Lafont et Jean-Claude Brialy. Présent dans À double tour (1959, la troisième réalisation de Chabrol), Jacques Dacqmine fait aussi partie de la distribution d’Inspecteur Lavardin. Sans parler de la présence, dans Poulet au vinaigre, des deux vieux comparses du cinéaste, Dominique Zardi et Henri Attal. À ce générique quasi familial, il convient d’ajouter le nom de Matthieu Chabrol qui compose les deux partitions, dans la lignée de celles de Pierre Jansen, qui œuvra pour Chabrol de 1960 à 1980. Les deux films sortent chez Carlotta pour la première fois en Blu-ray.

Écrits par le cinéaste et Dominique Roulet, Poulet au vinaigre et Inspecteur Lavardin tournent autour de morts suspectes de bourgeois, dans l’ambiance feutrée de petites villes de Normandie et de Bretagne. Chargé de l’enquête, l’inspecteur Lavardin (impeccable Jean Poiret) n’apparaît, dans sa première aventure, qu’au bout de près de trois quarts d’heure. On sait Chabrol féru de recettes et de scènes de repas — et les deux sujets n’en manquent pas — et le titre du premier opus, Poulet au vinaigre, joue vraiment sur les deux sens du terme. C’est, certes, une recette mais le terme situe également le flic qui, pour faire avancer ses recherches, peut être capable du pire.

Décrit, dans Inspecteur Lavardin, comme un voyou entré dans la police, le personnage de Jean Poiret n’hésitera jamais à coller une baffe à un suspect voire pire afin d’obtenir le renseignement voulu. Et Poiret, formidable interprète de Mocky, retrouve ici la verve des canailles qu’il interprétait chez l’auteur du Miraculé. Il est tout à la fois sympathique et odieux, prêt à tout sans jamais prendre de gants et désireux de servir une justice de classe qui n’est pas forcément celle voulue par les notables ni le bon goût. Une sorte de flic anar du meilleur effet, qui ne s’embarrasse guère des contingences.

La force de l’acteur est de véritablement incarner son personnage. On retrouve là les petits bruits de bouche auxquels il nous a habitués tout au long de sa carrière, les interjections aussi, les « Non, mais ! » dont il conclut parfois ses phrases. La plus grande habileté est de faire passer des méthodes plus que douteuses, des brutalités policières dont on se demande, goguenard et blagueur comme l’était Chabrol, si elles ne sont pas filmées pour faire hurler les critiques. On sait que le cinéaste avait côtoyé Jean-Marie Le Pen, dont il avouait avoir été « copain comme cochon entre 1949 et 1952, à peu près ». On sait aussi qu’il ne partageait pas ses idées politiques. Supposons donc qu’une torture gestapiste assénée à un notaire véreux, dans Poulet au vinaigre, devait faire marrer le père Claude. Ce que Joël Magny, dans son commentaire, désigne par « des méthodes qui n’hésitent pas à s’écarter de la stricte déontologie ».

Dans cet amour du dynamitage, Inspecteur Lavardin commence très fort avec un repas partagé par une famille (Jacques Dacqmine, Bernadette Lafont, Jean-Claude Brialy, Hermine Clair) dont on devine le père ultra-catho. On comprendra assez vite que l’hypocrisie ne l’étouffe pas. On retrouve une fois de plus chez Chabrol ce plaisir revanchard de placer les grands bourgeois face à leurs contradictions, leurs mensonges, leurs coudées franches avec leur soi-disant morale.

Le personnage de Lavardin plut tellement qu’une série télévisée fut lancée à la suite de la sortie des deux films, Les Dossiers de l’inspecteur Lavardin. Créée par Dominique Roulet et Claude Chabrol, elle connut quatre épisodes diffusés sur TF1 entre 1988 et 1990, qui furent réalisés par Claude Chabrol lui-même (L’Escargot noir, Maux croisés) et Christian de Chalonge (Le Diable en ville, Le Château du pendu).
Jean-Charles Lemeunier
« Poulet au vinaigre » et « Inspecteur Lavardin » : sortie pour la première fois en Blu-ray chez Carlotta et MK2 Films le 16 janvier 2024.
Claude Chabrol, elle connut quatre épisodes