Le festival Lumière, qui s’est déroulé à Lyon du 14 au 22 octobre, a atteint son climax vendredi soir. Ce 20 octobre, le cinéaste allemand Wim Wenders a reçu le prix Lumière en présence de nombreux invités dont le prix Nobel de littérature Peter Handke — qui joua un air d’harmonica — et son acteur fétiche Rüdiger Vogler.
À propos du premier, il remarquait : « Si Peter Handke ne m’avait pas confié son roman L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty, jamais je n’aurais fait les autres films. Plus tard, Peter a écrit Faux mouvement et il m’a donné ensuite les plus beaux dialogues et monologues pour Les Ailes du désir. Et encore ceux des Beaux jours d’Aranjuez, que j’ai tourné avec Reda Kateb. Il y a quelqu’un d’autre que je veux remercier, avec qui j’ai fait dix films, c’est Rüdiger Vogler. On l’a appelé mon alter ego et, comme acteur, il n’a pas mérité ça ! »

Wim Wenders était visiblement ému par tous les éloges entendus, ceux d’Alfonso Cuaron, de Vincent Lindon, d’Aurore Clément et d’Irène Jacob, auxquels s’ajoutaient une reprise du Perfect Day de Lou Reed par Jeanne Cherhal — Perfect Days étant le titre du film présenté cette année à Cannes par Wenders —, un air de piano composé par Laurent Petitgand pour Les Lumière de Berlin (réalisé par Wenders en 1995) et joué par lui et Chan Chan, une chanson que l’on entend dans Buena Vista Social Club (1999), reprise ici par le groupe Colectivo Caliente.

« Et la lumière fut !, s’exclama le cinéaste. C’est invraisemblable, inconcevable, inimaginable que les inventeurs du cinéma s’appelaient Lumière. C’est l’essence-même du cinéma, la lumière ! » Il en profita pour remercier aussi le chef opérateur Henri Alekan, « grand maître du noir et blanc » avec qui il travailla pour L’État des choses et Les Ailes du désir. Et un autre chef op’, Robby Müller, son « frère jumeau » qui signa les images d’une quinzaine de films de Wenders, courts et longs confondus. Il eut encore un mot pour « l’assistante la plus incroyable », Claire Denis, et pour sa femme, la photographe Donata Wenders : « Elle est à côté de moi depuis 33 ans, plus que la moitié de ma vie professionnelle ».

Après un silence, il ajouta : « Je ne vais pas dire qu’une Palme d’or, c’est rien. Mais un prix Lumière, c’est unique et j’en suis très fier. » À ses côtés, jubilait Thierry Frémaux, directeur des deux festivals, Cannes et Lumière, et de l’Institut Lumière qui organise la manifestation du même nom. « Le recevoir à Lyon et en France, poursuivait Wim Wenders, est fort : c’est le pays où je suis allé en 1966 pour devenir peintre et que j’ai quitté un an après pour faire du cinéma, grâce à Henri Langlois. »

Perfect Days, Anselm Kiefer, l’Europe et Peter Falk
Le lendemain, lors de sa conférence de presse, Wim Wenders revint sur plusieurs films de sa carrière, à commencer par ses deux derniers : Perfect Days et Anselm, celui-ci étant un documentaire sur l’artiste allemand Anselm Kiefer, programmé lui aussi à Cannes en séance spéciale.

« J’ai beaucoup d’amis peintres mais je ne suis pas très curieux de les filmer. Pour Anselm Kiefer, je n’arrivais pas à comprendre comment quelqu’un peut peindre tout sans exception, être aussi sculpteur et architecte. J’avais mille questions à lui poser d’autant plus qu’il s’intéresse à tout : à Henri Langlois, à la religion, la philosophie, la poésie, à la théorie des cordes et tant d’autres sujets. Il a une bibliothèque beaucoup plus grande que la mienne — et pourtant j’en ai une grande — mais, chez moi, je n’ai pas lu la moitié des livres que je possède. Lui, il a tout lu, tout annoté. Ses livres sont surlignés, avec des papiers dedans. Il pense que rien n’échappe à la peinture. C’est inconcevable pour moi : comment quelqu’un peut-il à ce point s’intéresser à tout et créer une œuvre aussi vaste ? »

Wim Wenders parla aussi longuement de Perfect Days, qu’il a tourné au Japon. « Le film parle d’un personnage posé, calme, avec sa vieille bagnole, dont la vie est assez réduite. Le tournage a correspondu à ce personnage, nous sommes tous devenus un peu comme lui. La lumière était au début de Perfect Days. c’est à cause de la lumière que ce mec est devenu qui il est. Les Japonais ont un mot pour ça, pour les jeux de la lumière sur le sol et le moment où l’on regarde ce spectacle : komorebi. »

Puis, à propos de Lisbonne Story, qu’il tourna en 1994, il en vint à parler de l’Europe. « On a fait le voyage depuis Berlin avec cette vieille Citroën qu’on voit dans le film. On a filmé toutes les frontières, le passage d’Allemagne en France, de France en Espagne, d’Espagne au Portugal, sans que personne ne nous arrête. C’était une grande première pour moi. Toute l’Europe était excitée à l’époque avec cette chute des frontières, qui représentait un progrès. Trente ans plus tard, on recule avec cette idée et l’Europe est de plus en plus réduite. Dans les cœurs, l’Europe n’existe plus. Elle impose ses lois et une grande partie de la population s’y oppose. C’est un développement très malheureux : l’Europe devrait être le contraire et ne pas imposer ses lois à tout le monde. On a son propre pays et un pays plus grand, un toit qui protège tous ces petits pays. Aujourd’hui, ces pays veulent avoir leur propre toit indépendant. La pensée nationaliste a créé des centaines de guerres en Europe, beaucoup entre la France et l’Allemagne. Dans Anselm, on parle de l’Histoire et de ce que cela peut produire si on l’oublie. L’Histoire peut éclaircir notre avenir. »

Il évoqua encore l’acteur Peter Falk, qu’il employa dans Les Ailes du désir et sa suite, Si loin, si proche. « Peter Falk aimait l’improvisation. La longue scène où il essaie des chapeaux n’était pas écrite. Bruno Ganz et Otto Sander n’avaient pas appris l’improvisation. Ils avaient peur que Falk improvise et lui, il adorait ça. Le pauvre Otto avait tout de suite la sueur qui lui venait au front, de peur d’être impliqué dans une nouvelle improvisation de Peter Falk. Le film reposait sur l’imprévu. Chaque soir, on décidait de ce qu’on allait tourner le lendemain. Les Ailes du désir est une fiction un peu radicale avec des anges et la réalité de Berlin qui s’introduit dans le film. »
Jean-Charles Lemeunier
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