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C’est flagrant dans Le Petit Blond de la casbah, le nouveau film d’Alexandre Arcady que le cinéaste est venu présenter en avant-première au festival Lumière de Lyon. Il y a chez lui une blessure qui se se referme pas, une page qu’il ne peut tourner, une déchirure : celle qui l’a fait quitter l’Algérie, pays qu’il aime et où il est né. Et pays qui l’aime, comme cela est montré dans le film et comme il l’affirme lui-même.

Le 7, rue du Lézard à Alger, où habitait l’auteur et qui est filmé avec beaucoup de chaleur et d’humanisme, là où se mêle une population constituée des trois religions présentes alors en Algérie, pourrait ressembler à l’immeuble Yacoubian, sorti du roman d’Alaa El Aswany et du film de Marwan Hamed qui en a été tiré. Sauf qu’ici tout le monde est pauvre et ne représente pas un microcosme de la société coloniale.

Alexandre Arcady au festival Lumière (Photo JCL)

Alexandre Arcady explique l’ambiance qui régnait rue du Lézard : « Les portes des appartements n’étaient pas fermées, les enfants se baladaient et allaient fêter la fin du Ramadan chez l’un, Noël chez l’autre et Kippour chez un autre. »

Le Petit Blond raconte donc la vie d’un immeuble de la casbah d’Alger, en se focalisant sur une famille, celle de l’auteur. Le film est d’ailleurs tiré du récit éponyme qu’Arcady publia il y a près de 20 ans. Pourquoi a-t-il mis autant de temps à le transcrire à l’écran ? Il cite pour cela une phrase de L’Ecclésiaste : « Il y a un temps pour tout. » Et ajoute : « Il y a eu ce moment de silence, pendant le confinement, et c’est par les bruits de mon enfance que je me suis décidé à adapter le livre. Dans le même temps, sortaient Roma de Cuaron, Belfast de Branagh, Les Fabelmans de Spielberg et ils m’ont poussé. Le retour en arrière est vertigineux et plein de bonheur. »

Marie Gillain

Quels souvenirs Alexandre Arcady garde-t-il de son enfance ? Ceux qui sont pleins d’humanité, malgré la guerre. Il parle de ses émois amoureux pour la petite voisine Josette, de la naissance de sa passion pour le cinéma avec le film Jeux interdits vu à l’Olympia. La séquence est prenante : le jeune Antoine (interprété par Léo Campion, qui est parfait) est happé par les images du film de René Clément, avec ces gens qui fuient le pilonnage d’une route par les avions allemands et cette petite fille, Brigitte Fossey, qui pleure la mort de son chien quand la route est jonchée de cadavres. Une bombe explose alors dans la rue — il s’agit de l’attentat du Milk Bar, le 30 septembre 1956, qu’Arcady a vécu dans la salle de cinéma, mais en visionnant un autre film — et les images des personnes mortes et blessées à terre renvoient à celles de Jeux interdits.


« Je ne suis pas un cinéphile, commente Alexandre Arcady, je suis un spectateur. Cette découverte de Jeux interdits fut une déflagration, elle m’a donné une fringale de cinéma, je voyais tous les films. L’Algérie était une terre de salles de cinéma, qui en comptait 480, avec de nombreuses sociétés de distribution. En filmant aussi, dans Le Petit Blond, l’état actuel de l’Olympia, avec ses sièges défoncés, je montre que le cinéma n’existe plus en Algérie. J’ai gardé un fort souvenir de cette salle. En été, le toit s’ouvrait et on voyait les étoiles. C’était magnifique ! Malgré la guerre, le cinéma m’a sauvé de cette ambiance mortifère. »

Léo Campion et Iman Perez

Le Petit Blond de la casbah est un aller-retour permanent entre le voyage actuel d’un cinéaste (Patrick Mille) qui revient à Alger avec son fils pour présenter son film — un film justement intitulé Le Petit Blond de la casbah — et les souvenirs d’adolescence que tout cela réveille. Le Français retourne sur les lieux de son enfance, bien accueilli par la population mais constatant aussi le passage du temps. De l’aveu-même d’Alexandre Arcady, une de ces séquences a « une résonance très particulière ». « Je voulais aussi parler d’une communauté qui n’existe plus. Quand Patrick Mille se retrouve devant la façade de la synagogue, il se demande comment on a pu nous oublier comme cela ? »

Car c’est du vivre ensemble dont parle le film. « En ces moments troublés, a-t-il déclaré au public, c’est formidable de montrer ce film. » Plus tard, il parle d’une « fraternité naturelle, pas fabriquée » et regrette que le décret Crémieux qui, en 1870, donne la nationalité française aux « israélites indigènes », ait séparé les deux populations, la juive et la musulmane. « Vivre ensemble ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de problèmes. Dans le film, le personnage de Franck Dubosc — NDLR : un employé de l’EDF venant de la métropole — ne comprend pas cette cohabitation naturelle. Ces gens avaient la même préoccupation : la pauvreté. N’oublions pas que l’Algérie n’était pas peuplée que de colons. »

Léo Campion

Sur la situation entre la France et l’Algérie, le cinéaste cite Yasmina Khadra et le livre de l’écrivain qu’il a lui-même adapté : Ce que le jour doit à la nuit. « Cet homme et cette femme qui s’aiment et ne vont pas au bout de leur amour, c’est l’histoire de la France et de l’Algérie. C’est un lien qui ne se brise pas mais qu’il ne faut pas laisser disparaître. »

La famille : Judith El Zein, Dany Brillant, Pascal Elblé, Christian Berkel…

Pour reconstituer l’appartement familial, Alexandre Arcady a travaillé avec le chef décorateur Tony Egry, qui n’est autre que son frère. « Quand j’y suis entré, se souvient le cinéaste, inutile de vous dire les frissons qui m’ont parcouru. » À propos du film et de son pays, il rappelle encore : « C’était les treize plus belles années de ma vie. Cette période est restée à jamais marquée en moi. Il n’y a pas un jour où je ne pense pas à Alger, aux sensations, aux odeurs, aux couleurs du ciel. C’était un décor de cinéma, un pays à part, c’était être dans un voyage immobile. On ne peut pas l’oublier. « Tout nous était donné à profusion » a écrit Camus. Je suis un Africain, un Africain du nord et il n’existe pas une note de musique orientale qui ne m’émeut. Dans le sous-sol de l’immeuble où j’habitais, répétait l’orchestre arabo-andalou de la casbah. »

Valérie Krapisky

Ne nous trompons pas. Alexandre Arcady n’est pas un nostalgique de l’Algérie française et certains passages de son film le montrent bien. Le père (Christian Berkel) rappelle à ceux qui s’effraient de la situation que tant d’injustice envers la population arabe ne peut durer et il est le seul à penser partir. « Mon père était hongrois et avait du recul. Il sentait que les choses tourneraient mal. Il est l’un des rares à avoir eu cette vision. Les gens ne voyaient pas la réalité, victimes d’une sorte d’insouciance qui a été fatale. » Il montre également une armée française très raciste qui insulte la population autochtone et se comporte comme la Gestapo quand elle vient dans l’immeuble déloger les musulmans.

Le départ

L’intelligence d’Arcady est aussi de n’avoir pas daté son récit, si ce n’est par les films que son jeune héros va voir au cinéma : Tant qu’il y aura des hommes, Babette s’en va-t-en guerre« Je ne voulais pas le faire sous peine d’entrer dans une chronique… trop chronique. Même politiquement, ce n’est pas daté ni par le putsch ni par l’arrivée de de Gaulle. On en entend juste parler. La partie moderne n’est pas datée non plus. On ne voit pas de téléphones portables. J’ai mis des gardes du corps qui entourent le personnage de Patrick Mille et qui rappellent la fin de la guerre civile et des années noires. Je ne voulais pas faire un film didactique ni donneur de leçons. »

L’émotion est partie intégrante du Petit Blond. Elle parcourt tout le film pour exploser à plusieurs reprises, submergeant le spectateur sans qu’il s’en aperçoive, pris qu’il est par les péripéties de la famille du héros et de tous ses voisins et amis. Et nous donne, l’air de rien, une belle leçon d’humanité.

Jean-Charles Lemeunier

Après sa présentation au festival Lumière, à Lyon, « Le Petit Blond de la casbah » sortira en salles le 25 octobre 2023 par Dulac Distribution.

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