Home

docteur-mabuse-et-le-rayon-de-la-mort

Se doutait-il Norbert Jacques, cet écrivain luxembourgeois de langue allemande, de la destinée cinématographique qu’aurait son personnage, le Dr Mabuse ? Certes, le Norbert n’eut pas à attendre longtemps : publié en 1921, Mabuse est rapidement récupéré par Fritz Lang qui en fera son héros pour trois films : Dr. Mabuse der Spieler (1922, Dr Mabuse le joueur), Das Testament des Dr. Mabuse (1933, Le testament du Dr Mabuse) et Die tausend Augen des Dr. Mabuse (1960, Le diabolique Dr Mabuse). À l’époque où notre histoire commence, Mabuse est tombé dans le domaine public. Peut-être pas du point de vue de ses droits d’adaptation mais parce que, dans la foulée de Lang, dès 1961, une flopée de réalisateurs de moindre importance s’emparent de Mabuse. Et, parmi eux, l’Argentin Hugo Fregonese qui, après un passage remarqué dans les studios californiens – son western Quand les tambours s’arrêteront tient sacrément le coup -, est venu s’échouer en Europe où il tourne, en 1964, Die Todesstrahlen des Dr. Mabuse (Dr Mabuse et le rayon de la mort). Nous y voilà : c’est ce dernier que Bach Films vient d’éditer en DVD. Ajoutons que le film est cosigné par Victor De Santis, spécialiste des séquences sous-marines.

docteur-mabuse-et-le-rayon-de-la-mort-Rika Dialyna

Entre les mille yeux (traduction littérale du dernier Lang, qui désigne les écrans multiples dont se sert Mabuse) et Le rayon de la mort, Mabuse est donc tombé entre les mains de Harald Reinl, Paul May et Werner Klinger qui ont réduit la fascinante saga mise en images par l’auteur de Metropolis à des séries B d’espionnage, sympathiques à regarder mais sans réel enjeu politique. Ces séquelles sont financées par Artur Brauner, producteur de trois Lang : Le tigre du Bengale, Le tombeau hindou et Le diabolique Dr Mabuse. Si le Mabuse des années vingt a pu préfigurer le nazisme, celui des années soixante fait pâle figure face aux adversaires de James Bond. Et c’est vrai que Dr Mabuse et le rayon de la mort ressemble à la version sage d’une des aventures de 007 : les filles, Yvonne Furneaux et Rika Dialyna, sont jolies et en bikini mais n’ont pas l’allure d’Ursula Andress. Reconnaissons à Rika Dialyna un petit déshabillé transparent qui lui vaut toute notre gratitude. Quant à Yoko Tani, son rôle est malheureusement trop court !

mabuse-et-le-rayon-de-la-mort Van Eyck

L’histoire suit donc un agent britannique, joué par un  transfuge du Diabolique Dr Mabuse, Peter Van Eyck, en mission sur l’île de Malte. Il porte le nom de Bob Anders mais aurait pu tout aussi bien être affublé des surnoms de Coplan, OSS 117, Tigre, Gorille, Monocle ou Lemmy Caution : les agents sont légions dans le cinéma européen des années soixante. Fregonese est un malin, c’est certain, et il prend tout de suite soin de ne pas trop prendre au sérieux les mésaventures de son espion. Car qui dit espion dit discrétion or tout le monde sait, à Malte, qu’Anders travaille pour le gouvernement de Sa Majesté. Cet absence de secret, qui met le pauvre Van Eyck en rogne chaque fois qu’il la constate, agit comme un gag récurrent. Mais le réalisateur prend bien soin de doser ses effets car la rigolade doit s’accompagner malgré tout de mystère et tout ce qui touche au sinistre Dr Mabuse est mystérieux et quasiment surnaturel.

Le Mabuse de Lang cherche davantage à dominer les consciences que le monde, même si, dans son esprit, l’un ne va pas sans l’autre. C’est pour cette raison, et aussi parce que la femme et scénariste de Lang, Thea von Harbou qui travailla sur ses Mabuse, était affiliée au parti nazi, que l’on rapprocha le méchant toubib du totalitarisme national-socialiste, les films de Lang mêlant effroi et fascination.
Les Mabuse suivants, et tout pareillement celui de Fregonese, ne fascinent plus vraiment. Le Doktor est devenu un Grand Méchant qui ne rêve que de la destruction de la planète, ici au moyen du fameux rayon de la mort. Un dans le style du Dr No ou de Goldfinger, ces méchants qui affichent leurs raisons d’être et ne sont pas métaphysiques comme pouvait l’être le héros langien. Alors l’histoire suit son cours, que l’on suit sans ennui, se payant même un petit suspense : sous quelle apparence Mabuse refera-t-il surface ?

docteur-mabuse-et-le-rayon-de-la-mort - Yoko Tani

L’intérêt de Dr Mabuse et le rayon de la mort réside donc dans la mise à distance apportée par le réalisateur et par le plaisir évident que prennent les acteurs à composer des personnages plutôt barrés. Leo Genn, dans le rôle d’un amiral chef des services secrets, arrive en tête. Il piaffe, cabotine et assume honnêtement tout ce qu’on lui demande de faire. Valery Inkijinoff, Otto E. Hasse, Claudio Gora, Gustavo Rojo et Charles Fawcett incarnent aussi des individus au sujet desquels on n’arrête pas de douter, qui oscillent entre le bon côté et celui plus obscur mais aussi entre la comédie et le sérieux.
Puisque le spectateur a finalement du mal, tout au long du récit, à reconnaître le bon grain de l’ivraie et à placer les gens dans un camp ou un autre, c’est comme si Fregonese lui disait : Van Eyck lui au moins, c’est sûr, il est gentil, donc tu peux être de son côté. Et mieux encore : aime le maudit, aime Mabuse puisqu’avec lui ne subsiste aucun doute.

Une dernière question : comment prononcez-vous le nom du monteur du film, Alfred Srp ?

Jean-Charles Lemeunier

Dr Mabuse et le rayon de la mort
Année : 1964
Titre original : Die Todesstrahlen des Dr. Mabuse
Réalisateur : Hugo Fregonese, Victor De Santis
Scénario : Ladislas Fodor, Alexandre Welbat d’après Norbert Jacques
Photo : Riccardo Pallottini
Musique : Carlos Diemhammer, Oskar Sala
Montage : Alfred Srp
Production : Artur Brauner
Avec Peter Van Eyck, Otto E. Hasse, Yvonne Furneaux, Rika Dialyna, Wolfgang Preiss, Walter Rilla,  Robert Beatty, Valery Inkijinoff, Claudio Gora, Gustavo Rojo, Charles Fawcett, Leo Genn, Yoko Tani…

DVD sorti le 1er février 2016 chez Bach Films

Laisser un commentaire