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affiche D'amato

Le jeu de mot est facile mais il était temps que l’on dispose en français d’un texte sur le cinéaste Joe D’Amato, travailleur acharné sous divers pseudos et finalement tout aussi connu sous son vrai nom d’Aristide Massaccesi. Si les Italiens ont eu la chance d’avoir sous les yeux des études de Gordiano Lupi, qui a également écrit sur Ruggero Deodato et Enzo G. Castellari, ou de Marco Giusti qui offre à D’Amato plusieurs entrées de son Dizionario dei film italiani Stracult, le cinéaste n’a jamais eu en France les honneurs d’une quelconque reconnaissance.

Et pourquoi l’aurait-il eu, d’ailleurs ? Sébastien Gayraud, qui livre ce premier hommage en français à l’un des rois du Bis italien (Joe D’Amato le réalisateur fantôme, paru chez Artus), n’écrit-il pas : « D’Amato est en quelque sorte parti de rien pour arriver à rien. Son parcours est une aberration en soi, ou l’on trouve concrètement autant de mauvais films que de bons, et même ses meilleurs ne s’apparentent en rien à des productions lisses et accessibles. Surtout, et c’est le plus important, c’est notre manière de percevoir le matériau filmique en soi qu’il faut modifier, ses films se présentant bien plus comme une juxtaposition de séquences que comme des narrations cohérentes et finies. En d’autres termes, comprendre D’Amato, c’est moins isoler des chefs-d’oeuvre en opposition à des films mineurs que concevoir toute son œuvre comme un gigantesque collage d’éléments hétéroclites, une mosaïque à travers laquelle il s’agit de voyager et de découvrir de bien curieuses correspondances. »

Joe D’Amato… Qui s’intéresse un tant soit peu au cinéma d’exploitation relie ce nom à une série de films flirtant avec le porno ou empruntant leurs héros à des films ayant eu du succès : les cannibales après Umberto Lenzi, Caligula après Tinto Brass, des voyous qui s’introduisent dans une maison isolée après La dernière maison sur la gauche de Wes Craven — « une expérience de voyeurisme inédite qui déstabilise et fascine à la fois » commente Gayraud à propos de Il porno shop della settima strada —, les amours interdites des religieuses après Intérieur d’un couvent de Borowczyk, les morts-vivants, les gladiateurs du futur, Messaline, les gros bras façon Conan, on en passe et des meilleurs.

À regarder de plus près la filmographie de D’Amato telle que nous la livre le bouquin, depuis l’époque où notre homme signe les images jusqu’au moment où il devient réalisateur à part entière puis producteur, on s’aperçoit qu’elle contient tous les grands courants du cinéma populaire italien : péplum, giallo, western spaghetti, horreur, comédie érotique, films de guerre, heroic fantasy, films d’aventures érotiques, post-nucléaire et porno.

Gayraud démontre une bonne connaissance du sujet. Ainsi, décortique-t-il le mode de production liée à l’époque, avec par exemple Emanuelle et Françoise : « C’est surtout le premier long-métrage à présenter des scènes érotiques soft parsemées de quelques plans hard qui apparaissent ou disparaissent suivant le pays de distribution. On sent tout un système qui se met en place. » De ce même film, il assure qu’il synthétise le meilleur de D’Amato. « Le système du réalisateur fonctionne bien plus sur un enchaînement de séquences que sur une véritable narration. »

Emanuelle

Poursuivant l’étude de la filmographie du bisseux, Sébastien Gayraud note que c’est Emanuelle en Amérique qui « impose son auteur comme le maître d’une catégorie qui n’appartient qu’à lui : plus tout à fait du cinéma d’horreur, presque au-delà de la pornographie ou du documentaire. En fait, un peu tout ça à la fois. Du pur D’Amato. » Nous avons affaire, poursuit-il, à un « cinéaste déviant », au « goût du détail grotesque, décuplé par un recours systématique à une esthétique crue, à la fois proche du documentaire et complètement hallucinée. » En fin de volume, il ajoute un élément important : Emanuelle en Amérique est une des premières allusions aux fameux snuff movies de sinistre réputation, un sujet dont s’empareront par la suite pas mal de métrages.

L’auteur ne s’en tient pas au seul D’Amato mais le replace dans son époque. Une époque où le public devient friand de ce que l’on a appelé les films mondo. Il cite les documentaires d’Alfredo et Angelo Castiglione, Antonio Climati et Mario Morra, bien oubliés aujourd’hui comme le devient toute cette cinématographie qui n’intéresse plus, à tort, que quelques poignées de cinéphiles.

L’avantage, avec des gens comme Massaccesi, c’est qu’ils ne sont pas considérés comme des auteurs. Pas besoin de prendre des gants avec eux, de trouver des excuses à leurs erreurs ou de soutenir qu’ils savent où ils vont dès qu’ils s’emparent d’une caméra. « Pirate sans scrupules, prêt à tous les coups tordus pour de l’argent », ainsi le décrit Sébastien Gayraud, au moins à partir des années soixante-dix. Quoi qu’il en soit, D’Amato parvient à monter des projets avec des stars, même si celles-ci sont parfois sur le retour. C’est ainsi que Hard to Kill, en 1978, devait avoir pour vedette Alain Delon. Certes, à la même époque, le héros de Plein Soleil s’échoue dans des nanars style Airport 80 Concorde ou Téhéran 43, nid d’espions. Mais tout de même, il s’agit de Delon, prêt à tourner avec D’Amato. L’acteur français sera finalement remplacé par Luc Merenda, lui aussi français. Mais bon…

Véritable Monsieur Jourdain, Joe D’Amato ferait, à en croire son hagiographe, du cinéma sans le savoir. À propos d’Exotic Love, on peut lire : « Ce long-métrage nous permet en tout cas d’observer une nouvelle fois le « système D’Amato » en action : l’histoire n’est qu’un prétexte et le film qu’une accumulation de scènes montées sans souci d’une forme finale harmonieuse ou simplement cohérente. Le réalisateur reste envers et contre tout un enchaîneur de séquences, pour qui le long-métrage n’est à l’arrivée qu’une incidence industrielle. Exotic Love peut se voir comme un film expérimental malgré lui, une vraie entreprise de déconstruction appliquée au cinéma d’exploitation, par un cinéaste qui, pour reprendre un concept universitaire, pense le fragment contre le tout. »

Avec son passage dans le porno, D’Amato s’exprime réellement comme il en a envie. Il fonde une société de production, PCM (Production Company Massaccesi) et se lance, avec Sesso nero (1980) dans « le tout premier film 100% hard d’origine italienne à être tourné et distribué de manière officielle ». À partir de cette époque, note encore Gayraud, « Joe D’Amato travaille désormais à deux vitesses, avec d’un côté ses films de fiction, de l’autre ses pornos qu’il réalise au kilomètre. Il se contente de tourner, tourner tout le temps, par tous les moyens et à n’importe quel prix. Il est devenu ce dingue de la pellicule, cet homme à la caméra qui filme comme il respire, et qui restera accroché à sa machine jusqu’à son dernier souffle ».

Anthropophagous

C’est alors que s’ouvre la « période gore » de D’Amato, celle qui nous offre ses deux films les plus connus, Blue Holocaust et Anthropophagous, ce dernier célèbre pour deux séquences cultes : dans la première, le monstre avale tout cru un fœtus ; dans la seconde, il dévore ses propres entrailles. Les citations de D’Amato sont d’ailleurs amusantes lorsqu’il parle de ce dernier film. Ainsi, l’utilisation de la « paillata », spécialité gastronomique romaine — en fait, des intestins de vache —, pour figurer les viscères de George Eastman que celui-ci va déguster à pleines dents.

Avec Filmirage, « équivalent italien à la Cannon », D’Amato s’éloigne du porno pur et dur et se met à produire ses petits copains. Certes, tout n’est pas très reluisant dans ces bandes fauchées mais Gayraud cite tout de même Michele Soavi, Umberto Lenzi et Lucio Fulci en tête de liste des cinéastes produits par D’Amato.

Alors que le cinéaste ne tourne plus que des pornos (une centaine en l’espace de 10 ans, avec son complice Luca Damiano), Gayraud souligne l’insistance de D’Amato à tourner en 35 mm, même si cela est « comme un mulet qui retourne au picotin ».

Après avoir étudié la filmographie de son sujet, Sébastien Gayraud se lance dans l’analyse. Sous sa plume, D’Amato devient un « ghost director, une sorte d’entité qui traverse le cinéma autant qu’il le fabrique ». Aveu d’impuissance ? Ayant du mal à saisir l’objet de son étude, l’auteur le compare alors à Roger Corman et Jesus Franco. Il désire absolument transformer D’Amato en auteur — bof, pourquoi pas ? Mais est-ce vraiment nécéssaire ? Ne peut-on simplement s’intéresser à la carrière d’un cinéaste sans forcément lui dresser un piédestal ? Gayraud insiste avec raison sur les dualités qui nourrissent la filmographie du héros : voyeurisme/  exhibitionnisme ; sadisme/masochisme ; « cinéma transgénique » à coups de stock-shots« Le côté puzzle du cinéma de D’Amato, son caractère éclaté, inclusif, hétérogène est donc une donnée essentielle de son esthétique. »

En quelques mots bien sentis, Gayraud parvient à transmettre des clefs pour aborder l’œuvre de celui que beaucoup de critiques n’ont considéré que comme un charognard, prêt à piller tous les genres pour les offrir aux dents de ses spectateurs. « D’Amato n’est au fond que le digne héritier des premiers pionniers du cinématographe, bien avant que ce dernier ne soit considéré comme un objet culturel. Il nous fait des promesses qu’il ne tient pas toujours, mais c’est peut-être justement de cet écart entre le désir et la réalité que découle le charme de ses films. » Un peu plus loin, il écrit encore : « Le « paradoxe D’Amato », c’est de ses limites que le film tire ses qualités. »

On apprend beaucoup de choses à la lecture de ce Joe D’Amato, le réalisateur fantôme. Même si le texte reste sage, sans délire ni interprétations étonnantes (nous ne sommes pas, par exemple, chez Jean-Pierre Bouyxou), il se lit avec beaucoup d’intérêt et propose souvent de bons raccourcis : ainsi 2020 Texas Gladiators est-il nommé « énorme friperie visuelle ». Attention toutefois aux coquilles, nombreuses surtout dans les premiers chapitres. On mentionne Steve Carter au lieu de Steve Carver comme réalisateur de The Arena (deux fois dans la même page), Richard Harrisson au lieu de Harrison, Martin Scorcese au lieu de Scorsese, Roze Marie Lindt au lieu de Rose… Ce n’est pas grand-chose mais c’est tout de même agaçant.

L’étude s’achève par un chapitre sur les musiques des films de D’Amato et ceux qui les ont créés.

Jean-Charles Lemeunier

Sébastien Gayraud : Joe D’Amato le réalisateur fantôme, paru chez Artus

Une réflexion sur “Un livre chez Artus : Joe D’Amato… ou tard

  1. Une petite info qui peut intéresser vos lecteurs toulousains : Sébastien Gayraud viendra présenter son livre au magasin Gibert Joseph Musique (22, rue des Lois 31000 Toulouse) mercredi 4 novembre à partir de 17h00 puis il présentera la séance d' »Anthropophagous » à la Cinémathèque à 22h30 dans le cadre de la 17ème édition du Festival Extrême Cinéma qui se déroulera du 3 au 7 novembre…

    E.L.

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