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Si le début d’année ciné 2014 est plutôt timide en œuvres majeures, du moins intrigantes, sur grand écran les bacs DVD et Blu-ray compensent cet intérêt émoussé. Votre cinquante deux pouces va ainsi pouvoir profiter de l’excellente édition par Carlotta Films du premier film de John Carpenter, Dark Star. Ce film d’étudiant fabriqué sur le campus de l’USC est une fantaisie science-fictionnelle où le sens du cadrage du maverick se fait déjà ressentir puisqu’il parvient à maximiser un budget rachitique et des décors et effets-spéciaux minimalistes. Outre le fait que l’on peut désormais apprécier ce film avec la meilleure image disponible (remasterisé mais des défauts de définition demeurent car le film a été à l’origine tourné pour un format 1.33 qu’il a fallut « transformer » en 1.85 pour la sortie salles), l’édition formalisée replace sur le devant de la scène Dan O’ Bannon, artisan resté dans l’ombre des cinéastes avec lesquels il a étroitement collaboré (Carpenter, donc, Jodorowski pour son adaptation inachevée de Dune, Ridley Scott pour Alien, époque bénie où sa fibre artistique n’avait pas encore dépérie…) et dont l’apport est ainsi mis en lumière au travers du long (près de deux heures) et remarquable making-of documentaire datant de 2010, Let There Be Light de Daniel Griffith. Un documentaire qui revient sur la genèse du projet, de l’étincelle qui fit naître l’histoire à la distribution en salles et la scission entre les deux créateurs et qui permet de se rendre compte de la somme de travail abattue et l’acharnement commun et combien tous étaient attachés à faire le meilleur film possible (le tournage et la finalisation se sont tout de même étalés sur trois ans). Car s’ils ont assumé leur manque de moyens en formalisant un récit décalé plongeant dans l’absurde (sorte de pastiche de la S.F que l’on pouvait consommer à l’époque), ils n’ont jamais bâclés leurs effets, faisant preuve d’un perfectionnisme, d’un professionnalisme, admirables. Dan O’ Bannon en tête.

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L’équipage du Dark Star sillone l’espace intersidéral depuis vingt ans non pas à la recherche de toute forme de vie possible afin de philosopher en bonne compagnie mais de planètes jugées instables et qu’ils ont pour mission d’annihiler au moyen de bombes répondant aux ordres. Un anti Star Trek en somme. Par contre, on sent clairement l’influence de 2001 de Kubrick dans la manière de se focaliser sur le quotidien trivial des astronautes dans leur vaisseau et bien sûr dans la relation entre Doolittle et la bombe n°20 acquérant une forme de conscience de soi qui renvoie à celle s’instraurant entre Hal 9000 et Bowman.
Si le ton général est plutôt potache et rigolard, le film ne verse pas pour autant dans laparodie débridée ou le cynisme.Carpenter et son équipe prennent au sérieux le genre qu’ils investissent et livrent une S. F ironique s’accordant et s’accomodant des faibles moyens à leur disposition. Le résultat est plus qu’honorable malgré le faux rythme inculqué par le rajout de séquences pour passer d’une durée de cinquante minutes à un peu plus de quatre vingt pour que l’exploitation en salles soit possible. Une nonchalance narrative qui finalement correspond plutôt bien à ces voyageurs décrépis et hirsutes aussi fatigués, épuisés, que leur vaisseau commençant à tomber en ruines. Ainsi, certaines scènes rapportées alternent entre leur désoeuvrement ou leurs frivoles occupations.

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Autre ajout, l’Intermède drolatique, assez incongru dans le déroulement de l’histoire, où Pinback (Dan O’ Bannon) donne à manger puis poursuit dans le vaisseau l’un des extra-terrestres récupérés au cours de leur périple. A la limite du ridicule avec ce ballon de plage aux pieds griffus en guise de créature, cette partie est sauvée par l’orientation slapstick donnée à son développement par O’ Bannon et bien sûr par la mise en scène de Carpenter qui montre déjà une certaine aptitude à filmer des espaces confinés (coursives du vaisseau et ascenseur) pour instaurer de la tension. D’ailleurs, l’espace étriqué du Dark Star formera le lieu d’action principal du métrage, annonçant l’appétence de Carpenter pour les huis-clos (Assaut, Halloween, The Thing étant évidemment d’un tout autre niveau). On retrouve également son intérêt pour des personnages de condition modeste, des outcast un peu rebelles, les astronautes du Dark Star étant présentés comme des routiers, des sortes de John Nada de l’espace.
Un film qui ne se limite pas à sa valeur historique intrinsèque mais est une curiosité attachante par bien des aspects.

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L’autre gros morceau de cette édition est donc le documentaire Let Ther Be Light évoqué plus haut où parole est donnée à tous les participants, des acteurs au designer Ron Cobb, à la femme d’O’Bannon, au producteur Jack Harris, à ceux qui deviendront des fidèles de Big Daddy John, Nick Castle et Tommy Lee Wallace, le chef op’ Douglas Knapp, etc,  qui se remémorent les instants mémorables vécus dans cette aventure. Les deux créateurs Dan O’ Bannon et John Carpenter ne sont pas oubliés mais leurs interventions sont extraites d’anciennes interviews (O’ Bannon est décédé en 2009 de la maladie de Crohn, Carpenter lui a refusé de participer à ce doc). Ce formidable making-of se montre vraiment passionnant tant il dévoile d’informations sur les coulisses du tournage mais également en filigrane les personnalités de chacun et expose la première confrontation au monde professionnel plus structuré mais également plus intransigeant, ce qui n’était pas toujours très bien accepté par des cinéastes épris de leur liberté artistique. Si Carpenter finit par se montrer diplomate avec Harris le producteur afin de conserver toutes ses chances de finaliser son premier long, il n’en va pas de même pour Dan O’ Bannon en conflit ouvert avec lui. Un caractère un peu trop bien trempé qui l’a par la suite desservi dans la profession car bien qu’il ait participé à nombre d’oeuvres majeures du 7ème Art, il n’a pas eu la reconnaissance escomptée.

Nicolas Zugasti

Dark Star
Réalisateur : John Carpenter
Scénario : John Carpenter & Dan O’ Bannon
Interprètes : Brian Narelle, Cal Kuniholm, Dre Pahich, Dan O’ Bannon, Nick Castle…
Photo : Douglas Knapp
Montage : Dan O’ Bannon
Musique : John Carpenter
Pays : Etats-Unis
Durée : 1h23
Sortie Blu-ray et DVD : 22 janvier 2014
Editeur : Carlotta Films

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