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Présenté au dernier festival asiatique de Deauville devant une salle comble, The Grandmaster marque de façon intéressante la rencontre entre l’un des personnages légendaires de l’histoire de la Chine de la première moitié du vingtième siècle et le cinéaste asiatique le plus connu de ces vingts dernières années. Proposant, de son propre aveu, le film de kung-fu dont il avait toujours rêvé, Wong Kar-Wai marque après Les Cendres du temps, sa deuxième incursion dans le film d’action typiquement chinois, même si, tout au long de sa carrière, ce réalisateur n’aura eu de cesse de flirter avec le film de genre.

Metteur en scène au style reconnaissable dès les premiers instants (notamment grâce à la photographie de son alter-ego Christopher Doyle pourtant absent sur ce film ), Wong Kar-Wai est très certainement l’un des rares cinéastes d’importance à pouvoir concilier cinéma d’auteur et film populaire. Possédant des thématiques fortes (solitude des êtres, absence de communication et prédominance des non-dits, histoires d’amour impossibles, …) son œuvre, l’une des plus importantes dans le cinéma mondial depuis les années 1990, aborde presque tous les genres imaginables du fantastique (2046 et ses séquences d’anticipation sublimes) aux gunfights dignes d’un film de John Woo (dans As Tears Go By ). La rencontre entre ce réalisateur et la légende Ip Man semblait alors aller de pair. Mais avant d’être un film de kung-fu tel qu’il est vendu (et sur-vendu par le cinéaste lui-même), The Grandmaster est avant tout un film de Wong Kar-Wai qui y rassemble peu ou prou ses thèmes de prédilection.

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Ip Man ou Yip Man est incontestablement l’un des personnages populaires les plus connus en Chine. Issu d’une famille aisée, il apprend très jeune le Wing Chun, un art martial chinois. Icône de la résistance contre l’invasion japonaise de 1937, Ip Man émigre à Hong-kong en 1949 afin d’échapper aux purges effectuées par l’armée de la République populaire de Chine. Il fonde, dans cette ville, une école d’arts martiaux où, parmi ses élèves, figure Bruce Lee.

Ce personnage dont la vie passionne ses compatriotes aura vu nombre de ses aventures transposées sur grand écran, notamment en 2008 avec l’excellent artiste martial, Donnie Yen dans le rôle principal. The Grandmaster s’intéresse à une partie comprise entre 1930 et 1950 de la vie de ce grand maître.

Dans la longue et importante histoire du film de kung-fu chinois, un virage radical intervint à la fin des années 90 avec Matrix des frères Wachowski et plus encore, quelques années plus tard, avec le sublime Tigre et Dragon d’Ang Lee. En effet, avant la production de ces deux œuvres, la manière de filmer de tels films résidait essentiellement dans un montage dynamique qui palliait l’absence de moyens. Prenons, par exemple, L’Hirondelle d’or de King Hu, film réalisé en 1966, et sa scène d’anthologie qui met au prise, dans une auberge, l’héroïne jouée par Cheng Pei-pei (qui jouera plus tard le mentor de Zhang Ziyi dans le film d’Ang Lee) avec un tas d’hommes voulant sa peau. Plans très courts, montage audacieux et rapide, permettent à cette scène remarquable de figurer dans l’histoire du Wu xia pian.

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En hommage à cette séquence, dans Tigre et Dragon, Ang Lee met son actrice Zhang Ziyi en confrontation, dans une auberge, avec des adversaires masculins voulant également en découdre. Utilisant cette fois les moyens mis à sa disposition, le réalisateur taïwanais utilise de nombreux effets spéciaux et filme en plan-séquence ce qui reste également un grand moment de cinéma. Mais, ce dont ne se doutait pas Lee, c’est que son long-métrage allait conditionner par la suite les œuvres de même nature, rarement pour le meilleur, trop souvent pour le pire. Oubliant l’ingéniosité au profit d’effets spéciaux de qualité moyenne, les œuvres de kung-fu de la dernière décennie furent, en effet, de piètre qualité.

The Grandmaster de Wong Kar-Wai figure indéniablement dans la lignée de Tigre et Dragon pour la qualité et la maîtrise de ses scènes d’action. Mais le cinéaste, conscient ou non, emprunte également à la trilogie des frères Wachowski. Dans celle-ci, les deux frères (à l’époque ! ), fans du cinéma de la Shaw Brothers avaient insufflé des scènes de kung-fu qui avaient fait beaucoup pour la notoriété de leurs films. Bénéficiant du même chorégraphe, Yuen Woo-ping, Wong Kar-Wai rend d’ailleurs un hommage (volontaire ?) à la fameuse trilogie dès le plan d’ouverture où un Ip Man vêtu de noir combat, sous la pluie, une multitude d’adversaire, clones asiatiques de l’agent Smith.

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Dans The Grandmaster, Wong Kar-Wai réunit avec sa façon de filmer si particulière (maniérée diront certains)et identifiable entre mille, toutes ses obsessions. Ainsi, plus que les combats spectaculaires et l’icône Ip Man, c’est bien l’histoire d’amour impossible entre le maître et Gong Er qui intéresse au plus haut point le cinéaste. Cette dernière interprétée par Zhang Ziyi, est d’ailleurs le personnage central du long-métrage, celui qui captive le plus le réalisateur, quitte à en devenir le pivot au détriment de Tony Leung Chiu Wai. Un peu emprunté et loin d’imposer son habituel charisme, ce dernier est l’un des rares points faibles du film. Car s’il n’est pas le chef-d’œuvre fantasmé, The Grandmaster n’annonce pas moins le retour en forme d’un cinéaste perdu dans son road-movie américain (My Blueberry Nights). Et même si on ne comprend pas toujours l’intérêt porté à certains personnages (dont celui joué par Chang Chen, autre rescapé de Tigre et Dragon), le plaisir pris à la vision de cette parenthèse divertissante devraient ravir les nombreux aficionados du cinéaste.

Fabrice Simon

Sorti le 17 avril

 

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