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85 ans et… toutes ses dents, pourrait-on dire de Roger Corman, invité par l’Institut Lumière au festival Lumière, à Lyon. Et le grand cinéaste et producteur américain avait de quoi les montrer, ses dents, tant son sourire était éclatant : une salle entière debout l’applaudissait à tout rompre.
Dans le cadre de son festival dédié au patrimoine cinématographique, l’Institut Lumière a projeté, en présence de Corman, de sa femme Julie et de la réalisatrice Alex Stapleton, le documentaire consacré à ce roi de la série B des années cinquante à aujourd’hui : Corman’s World : Exploits of a Hollywood Rebel.
Corman a la réputation d’avoir toujours tourné extrêmement vite avec très peu de dollars en poche. Bertrand Tavernier rapportait que, souvent, la longueur des titres des films de Corman cachait le peu de moyens. Et de citer en rigolant The Saga of the Viking Women and Their Voyage to the Waters of the Great Sea Serpent (ouf). Tavernier évoque aussi la première fois où il a rencontré le cinéaste américain à Los Angeles : “J’avais beaucoup discuté avec son assistant-réalisateur, qui venait de diriger son premier film, Dementia 13 : il s’agissait de Francis Ford Coppola.”

Car, et c’est loin d’être une légende, tout le nouvel Hollywood a travaillé avec Corman : outre Coppola, citons encore Martin Scorsese, Jonathan Demme, Monte Hellman, Peter Bogdanovich, Joe Dante, Ron Howard, John Sayles, Jack Nicholson, Peter Fonda, Dennis Hopper, Robert De Niro, Bruce Dern, David Carradine, etc.
Ce que le film nous apprend surtout, c’est que Corman s’est toujours rebellé contre le système hollywoodien et que des titres tels que L’attaque des crabes géants, Teenage Caveman, La chambre des tortures ou L’horrible cas du Dr X ont été réalisés par un artiste que ses pairs traitaient de communiste à une époque où l’appellation était loin d’être un compliment. Corman est aujourd’hui célèbre pour avoir réalisé une série de films tirés d’Edgar Poe et joués par Vincent Price ou d’avoir tourné la première version de La petite boutique des horreurs, célèbre aussi pour tous ces monstres en caoutchouc dont on prend un plaisir coupable à avoir peur. Ils étaient, certes, son fond de commerce, mais pas seulement. Interviewé par Alex Stapleton, Corman parle de “texte et sous-texte”, de message. Et c’est avec beaucoup d’émotion qu’il relate l’échec de The Intruder (1962), qu’il considère comme son meilleur film, sur un sujet fort : la ségrégation des Noirs dans le sud des États-Unis.

Corman n’a peur de rien. Il détourne Peter Fonda des nunucheries familiales, style les aventures de Tammy (jouées par Sandra Dee) pour le faire enfourcher une moto dans Les anges sauvages en 1966, début de la vogue des films de motards et de Hell’s Angels. L’année suivante, en pleine période hippie, il teste le LSD pour The Trip, un film sur la drogue dans lequel on retrouve le jeune Fonda aux côtés de Dennis Hopper. Quand, en 1969, les deux compères viennent trouver Corman pour tourner ce qui va devenir Easy Rider, le producteur accepte de partager les risques. Malheureusement pour lui, le film atterrit sur le bureau d’un exécutif de la Columbia. Easy Rider obtiendra le succès (mérité) que l’on sait. Et le train de billets verts passera sous le nez de Corman.

Coréalisateurs en 1976 de Hollywood Boulevard, avec la pimpante et souvent dénudée Candice Rialson, Allan Arkush et Joe Dante reviennent sur leur travail avec Corman et mentionnent surtout les raisons de son déclin. Lorsqu’en 1975, Spielberg sort Les Dents de la mer, le scénario, remarquent-ils, est digne d’une production Corman, à la différence près que le film est produit par Universal. Même chose, en 1977, avec le premier volet de Star Wars de George Lucas. Ce sont ces films, annoncent-ils clairement, qui ont eu raison de Corman, puisqu’on mettait à présent des millions de dollars sur des sujets qu’il pouvait diriger ou produire pour tellement moins. Autre sujet d’étonnement : le cinéma qu’apprécie Corman est à cent lieues des films qu’il a mis en scène et produits : il a ainsi distribué aux États-Unis Bergman, Antonioni et Fellini.

Très intelligent, le documentaire d’Alex Stapleton démarre sur une production récente de Corman tournée au Mexique, au titre évocateur de Dinoshark, avec filles en bikinis et monstre marin, pour retracer toute la carrière du bonhomme. Exceptions faites de Coppola et Hellman, on y croise tous ceux dont les noms ont été cités plus haut et bien d’autres encore. Certains sont hauts en couleurs. Jack Nicholson, par exemple, qui, à chacune de ses interventions, râle après la pingrerie de Corman et s’amuse de la naïveté des films ainsi tournés à la sauvette. Soudain sa voix se brise : il veut faire savoir à Corman qu’il le remercie de lui avoir mis le pied à l’étrier, qu’il l’admire et qu’il l’aime. Et le grand Jack, qui peut se faire péter le nez sans sourciller chez Polanski, place humblement la main devant ses yeux pour cacher ses larmes. Comédie, me direz-vous ? Je ne pense pas. Ayant vu Alex Stapleton, je crois qu’elle a suffisamment de charme pour que l’acteur se laisse aller aux confidences et à l’émotion.

Il serait temps de rendre à Corman ce qui appartient à Roger : un immense talent qui vaut bien de revisiter ses films. Peut-être pas tous, en tout cas pas tous du même œil, mais avec le plus grand respect.



Jean-Charles Lemeunier

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